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Journal d'une attachée détachée

  • Les marchés publics selon Vauban

    Si vous voulez briller devant les élus qui vous demandent pourquoi il y a encore un avenant pour travaux supplémentaires dans le chantier de la piscine, vous pouvez citer Vauban et leur rappeler au passage qu'ils ont voulu choisir les entreprises les moins-disantes...

    « Monseigneur,
    Il y a quelques queues d'ouvrage des années dernières qui ne sont point finies et qui ne finiront point, et tout cela, Monseigneur, par la confusion que causent les fréquents Rabais qui se font dans vos ouvrages, car il est certain que toutes ces ruptures de marché, manquements de parole et renouvellement d'adjudications ne servent qu'à vous attirer comme Entrepreneurs tous les misérables qui ne savent où donner de la tête : les fripons et les ignorants, et à faire fuir tous ceux qui ont de quoi et qui sont capables de conduire une Entreprise.
    Je dis plus, qu'elles retardent et renchérissent considérablement les ouvrages qui n'en sont que plus mauvais, car ces Rabais et Bons Marchés tant recherchés sont imaginaires, d'autant qu'il est d'un Entrepreneur qui perd comme d'un homme qui se noie, qui se prend à tout ce qu'il peut ; or, se prendre à tout ce qu'on peut en matière d'Entrepreneur, c'est ne pas payer ses marchands chez qui il prend les matériaux, friponner ce qu'il peut, mal payer les ouvriers qu'il emploie, n'avoir que les plus mauvais parce qu'ils se donnent à meilleur marché que les autres, n'employer que les plus méchants matériaux, chicaner sur toutes choses et toujours crier miséricorde contre celui-ci et celui-là... 
    En voilà assez, Monseigneur, pour vous faire voir l'imperfection de cette conduite : quittez-la donc et au nom de Dieu, rétablissez la bonne foi, donnez les prix et les ouvrages et ne refusez pas un honnête salaire à un entrepreneur qui s'acquitte de son devoir, ce sera toujours le meilleur marché. »
    signé : Vauban
    Archives nationales de Paris

  • Retraite

    Juin 2038. Une nouvelle équipe s'est installée suite aux élections municipales. J'ai 64 ans. Ayant commencé à travailler tard suite à mes études, durant lesquelles j'ai fait des stages obligatoires mais non rémunérés (l'alternance n'était pas très développée dans les années 90 dans mon domaine de formation, l'urbanisme), je dois encore travailler jusqu'à 67 ans.
    Madame le Maire me convoque. J'ai l'âge d'être sa grand-mère, elle me le dit sans ambage. Elle ne se voit pas travailler avec moi à la tête des services de la communauté de communes. La procédure de fin de détachement sur emploi fonctionnel est entamée. Depuis la dernière réforme, cette procédure est accélérée, à l'amiable. Tout se passera bien si je ne fais pas de difficulté.
    Avec les dernières fusions, le nombre des communes a été encore réduit. Toutes les intercommunalités font au minimum 100 000 habitants. Cela me laisse peu de choix pour "rebondir" dans ma région. Je dois déménager, vendre la maison familiale. De toute façon elle est située en campagne, il n'y a plus aucun transport en commun ni aucun service à moins de 30 kilomètres, et j'ai du mal à conduire ces nouvelles voitures autonomes, elles ne sont pas adaptées aux petites routes. Je calcule que si j'arrive à vendre la maison, je devrais avoir de quoi m'acheter un studio dans une résidence pour seniors.

  • Petite pensée d'aujourd'hui

    Comme plus de 1500 territoires, notre EPCI a été doté d'un chef de projet pour accompagner notre ville centre, "Petite ville de demain". Nous avons docilement recruté cette personne dont l'Etat paye les trois quarts du salaire, au moyen d'une fiche de poste déjà rédigée. Personne très compétente au demeurant, et d'un dynamisme admirable. Au fur et à mesure que le programme se déroule, dûment coachés par un cabinet conseil lui-même rémunéré par l'Etat, les chefs de projets PVD sont invités à réseauter assidûment. Ils sont sommés de réaliser un diagnostic territorial dont la trame leur est fournie. On leur ouvre l'accès à des bases de données fiscales, sur les logements vacants, les revenus des ménages... Puis sort le "projet de territoire" qui n'a de local que le nom. Tandis que certains élus s'imaginent encore que le programme PVD leur donnera accès à des subventions pour leurs projets, leurs chefs de projets s'épuisent à faire comprendre que tout l'argent du programme part dans de l'ingénierie. "Ah, encore des études", soupirent les élus excédés. Pendant ce temps, une pensée formatée par McKinsey et E&Y s'immisce partout, avec l'idée sous-jacente que les élus n'y connaissent rien en revitalisation, qu'ils ont fait assez de dégâts depuis 50 ans dans les villes et villages, gaspillé l'espace, bradé les terres agricoles aux supermarchés (ce qui n'est pas faux), laissé les lotissements s'étaler (pas faux non plus). La petite ville de demain sera bientôt partout en France, avec son centre-ville refait en "coeur de village", sa maison France Service et ses tiers-lieux, micro-folies, espaces de coworking, nouvelle uniformité traversée silencieusement par des voitures électriques.

  • Quand Google remplace le service juridique...

    Les médecins sont confrontés de plus en plus à des patients qui, pour avoir fait des recherches sur Internet, croient en savoir plus qu'eux sur leur pathologie.
    Ce phénomène arrive aussi dans les assemblées locales... Dans les réunions de conseil communautaire ou municipal, où chacun a devant soi son téléphone portable, sa tablette ou son ordinateur, il n'est pas rare qu'un élu intervienne pour contredire l'intervenant, après une rapide recherche sur Google. En trois clics, ils pensent avoir compris les mécanismes du reversement de la taxe d'aménagement ou la répartition de l'IFER, quand on vient de se taper une note de 15 pages ou l'extrait du BOFIP. Parole confisquée, cacophonie garantie... et après on reprochera aux ados leur addiction aux écrans et leur incapacité à se concentrer.
     

  • Inauguration

    Sur la photo officielle, ils se tiennent côte à côte, elle, jeune femme très jolie, aux cheveux blonds et lisses, et lui, un homme d'âge mûr, qui pourrait être son père ou presque son grand-père. Tous deux sont ceints d'une écharpe tricolore, le rouge vers le cou, "rouge gorge". Elle sourit, radieuse. Il a l'air crispé. En tant que féministe, je devrais me réjouir de voir cette scène, la robe élégante et les ballerines au milieu des costumes sombres, cravates et chaussures vernies. Car elle vient d'être élue députée, damant le pion aux caciques, éléphants et autres vieux routards autoproclamés qui se croyaient inamovibles.

    Mais...

    Cette scène est sinistre. Elle est élue d'extrême droite, lui représente un parti socialiste moribond. Elle laboure le terrain depuis des mois, séduit, se montre, est partout, enfonce des portes qui s'ouvrent trop facilement. Lui, fin lettré, normalien, 40 ans de politique derrière lui, ayant occupé les plus beaux mandats de la République (maire, député, sénateur, ministre) et défendu les plus belles causes, paraît terne.